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Les ouvrages « psy » sur le couple Un nouvel espace de contrôle d’une hétérosexualité normative...

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Message  DeProfundisMorpionibus Lun 16 Avr - 11:14

Les ouvrages « psy » sur le couple

Un nouvel espace de contrôle d’une hétérosexualité normative

par Irène Jonas, 12 avril

A partir des ouvrages « psy » sur le couple et plus particulièrement des ouvrages s’inspirant de la psychologie évolutionniste, cet article a pour objet de montrer comment l’hétérosexualité, sous couvert d’argumentaires neurobiologiques, est à nouveau essentialisée, c’est-à-dire érigé en modèle « naturel » et « nécessaire » des relations amoureuses et sexuelles.

Les notions « d’homosexualité » et « d’hétérosexualité » ont été forgées au XIXe siècle, participant alors des représentations organicistes qui déplaçaient la question de la différence des sexes vers la sexualité. Le terme « hétérosexuel » est en effet inclus dans le cadre d’une classification des « actes érotiques » selon les caractéristiques du partenaire, celui-ci pouvant être soi-même, une personne de l’un ou l’autre sexe ou un animal - classification reposant sur l’idée selon laquelle les actes érotiques ont pour finalité le plaisir et non la procréation. C’est dans ce contexte que le terme de sexualité « normale » apparaît et que celui-ci est associé à l’hétérosexualité [1].

Une littérature salvatrice d’un couple hétérosexuel fragilisé

L’éclosion de la « culture psychologique de masse » et l’apparition d’une « vulgate psy » ont largement été mises à jour par Robert Castel et Jean-François Le Cerf [2], dès le début des années 1980. De plus en plus les « psys » sortent de leurs lieux de consultation, descendent de leurs chaires, multiplient leurs interventions sur la scène publique et s’impliquent dans la plupart des débats de société concernant l’évolution des mœurs.

Leur discours loin de se cantonner à la seule transmission de connaissances, de découvertes et d’analyses, s’attache à proposer une représentation globale des questions de société et à offrir diagnostics et conseils [3]. Comme en témoignent l’apparition de nouvelles collections [4] à l’usage du grand public, l’approche « psy » devient une ressource pour une société en recherche sur elle-même, sur ses valeurs de référence et sur les repères normatifs susceptibles de guider les conduites personnelles et conjugales.

Face au constat sociologique de la fragilité conjugale, toute une littérature aidant au maintien du lien entre conjoints y trouve matière à développement. Quel est alors le véritable modèle de communication de couple proposé par ces « médecins de l’âme » ? Dans quelle mesure contribuent-ils à la définition des normativités sociales et plus précisément à la reproduction des rapports de couple hétérosexuels ? Alors qu’il n’existerait plus d’impératifs sociaux, religieux ou économiques tels qu’ils avaient cours et qu’il serait devenu courant de considérer que nulle norme ne vient aujourd’hui interférer dans la construction du couple et ses règles de vie, ces « experts » prétendent viser à l’amélioration des relations entre les sexes. Des ouvrages à succès [5] entérinent ainsi l’idée selon laquelle les conjoints doivent non seulement s’aimer, avoir une vie sexuelle riche, travailler, mais aussi permettre à l’autre de réaliser son épanouissement personnel.

Dans une société où « un bon partenaire – le conjoint ou son équivalent – c’est celui qui sait aider l’autre à être lui-même, à développer ses capacités personnelles, à s’épanouir » et où « le couple se pense dans l’accomplissement mutuel de l’homme et de la femme » [6] de nombreux ouvrages « psy » prônent désormais la communication entre les conjoints comme élément fondamental d’un bon fonctionnement du couple [7]. L’apparition depuis une quinzaine d’années de lignes éditoriales spécialisées dans ce domaine chez des éditeurs fortement relayés par la presse féminine en témoigne.

Les ouvrages centrés sur le couple se présentent, en effet, comme une littérature salvatrice d’une conjugalité hétérosexuelle précarisée par diverses mutations sociales. Ils ont pour objectif d’offrir des éléments de compréhension des difficultés qu’ils rencontrent et des outils susceptibles de les seconder face aux obstacles inévitables de la vie à deux. Ils se proposent ainsi de restaurer une communication propre à faire vivre et durer un couple « hétérosexuel » d’une façon désirable, intéressante et novatrice en prenant en compte les nouvelles aspirations en matière de sexualité et d’amour, de réalisation de soi et d’autonomie.

Ces ouvrages, qui dans leur forme semblent s’adresser aux deux sexes, se chargent avant tout d’expliquer aux femmes comment se comporter et correspondre à ce que les hommes attendent d’elles, en un mot comment harmoniser une relation au sein de laquelle un membre continuera de résister au changement [8]. En se situant clairement dans une logique d’aide aux couples hétérosexuels, elle inscrit son modèle dans la complémentarité, et a pour objectif d’offrir à chacun de ses membres des éléments de compréhension des difficultés qu’ils rencontrent de par leurs différences, et des outils susceptibles de les seconder face aux obstacles inévitables de la vie à deux.

L’objectif « couple (hétérosexuel) réussi » constitue, dans ces ouvrages, un projet mobilisateur qui devrait d’emblée susciter l’enthousiasme. Loin d’être purement technique et de n’offrir que des recettes pratiques et des nouvelles recommandations aux membres du couple, ils comportent une forte tonalité morale, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une littérature normative qui suppose que le couple n’est qu’hétérosexuel. On peut donc aujourd’hui envisager le système « psy » comme celui d’une nouvelle sophistication des moyens d’agencer et de maîtriser les rapports sociaux de sexe.

Une re-naturalisation du couple hétérosexuel

Cette foisonnante littérature, pour une bonne part anglo-saxonne [9], constitue une instance de représentation de l’hétérosexualité normative en présentant le couple traditionnel binaire homme/femme comme modèle universel de l’organisation entre les sexes et comme seul valable et désirable dans les relations amoureuses. Elle s’efforce d’assimiler la différence des sexes à l’hétérosexualité.

Cet essentialisme tend ainsi à réactualiser un débat opposant la nature et la culture. Il sert de base idéologique au ségrégationnisme, qui, en s’appuyant sur de prétendues différences de « nature » entre les Hommes, divise la société en entités distinctes, souvent hiérarchisées entre elles, et leur attribue des caractéristiques, des aptitudes, un rôle social ou un statut spécifique. Il fixe ainsi les hommes et les femmes dans des caractères immuables, inaliénables et atemporels. L’idée centrale qui traverse les explications concernant les difficultés actuelles des couples est bien celle que les hommes et les femmes, supposés égaux, sont différents biologiquement et/ou psychologiquement. Ces différences décident en grande partie de leurs priorités, de leurs centres d’intérêt et de leur mode de communication :

« Car l’homme et la femme sont différents. Égaux, mais désespérément différents. Et pour toujours. Et là, forcément, ce n’est pas de l’appareil génital et de la silhouette en général que je parle. Mais de tout le reste. Je dis bien tout le reste : le cerveau, les hormones, les perceptions, les aptitudes, les comportements… » [10].

Le nouveau défi à relever par les hommes et les femmes serait alors d’assurer la mise en place d’une bonne communication « interculturelle » qui leur permette de s’entendre au-delà de leurs « langues » et de leurs visions différentes du monde [11].

Pour l’ensemble des auteurs, tant que les hommes et les femmes ne sauront pas et n’admettront pas que la parole remplit des fonctions différentes selon les sexes, ils iront forcément vers de grandes déceptions, ces disparités étant à l’origine de bien des conflits :

« Hommes et femmes nous ne parlons pas la même langue, mais nous ne le savons pas (…) Comment vivre ensemble quand on ne parle pas la même langue ? Il faut inventer des registres communs, s’entendre sur les mots importants pour l’autre, comprendre la valeur différente de ces mots importants » [12]

Dans le couple, nous disent ces ouvrages, les hommes auraient avant tout besoin de confiance, d’acceptation, d’appréciation, d’admiration, d’approbation et d’encouragement. Les femmes, quant à elles, auraient besoin d’attention, de compréhension, de respect, de dévotion, que l’on avalise leurs sentiments et qu’on les rassure :

« Dans le pacte amoureux inconscient, la femme recherche une relation équilibrée avec un homme susceptible de la sécuriser et de protéger le couple. En échange de quoi l’homme demande à sa compagne qu’elle soit ouverte à son égard et développe ses facultés d’écoute émotionnelle » [13].

Là où les hommes veulent le pouvoir, les femmes souhaitent des relations de coopération (les garçons aiment gagner, les filles aiment jouer), là où les hommes aiment les choses ou les objets, les femmes aiment les gens et les relations, là où les hommes sont en concurrence, les femmes coopèrent (l’homme marche à la domination, la femme à l’émotion). Les hommes se définissent par le « faire » et les femmes par « l’être » : l’homme cherche à bien faire, la femme à être bien.

En privilégiant les discours essentialistes sur les différences entre les sexes, ces ouvrages pérennisent, sous de nouveaux habillages, l’idée que les deux sexes sont irréductiblement différents - le discours sur les différences psychologiques se substituant alors à l’analyse des inégalités sociales [14].

L’hétérosexualité au filtre de la biologie

À partir du XVIIIe siècle, avec l’essor de la biologie et de la médecine s’est effectuée une « sexualisation » du genre.

« Hommes et femmes sont identifiés à leur sexe ; en particulier les femmes sont assignées à leur sexe, ancrées dans leur corps de femme jusqu’à en être captées, captives. On assiste alors à une biologisation et à une sexualisation du genre et de la différence des sexes » [15].

Le dernier avatar des interprétations biologiques justifiant la division sexuelle des savoirs est un retour sur le « sexe du cerveau » et les explications les plus en vogues qui nous viennent de la psychologie évolutionniste. Née à la fin des années 1980 comme une évolution de la sociobiologie, la psychologie évolutionniste se propose de montrer comment notre cerveau préhistorique continue à former nos comportements dans notre crâne du XXIe siècle :

« L’une des promesses fondamentales – sinon la promesse fondamentale - de la psychologie évolutionniste est de contribuer à identifier ces forces (les forces environnementales), à générer des théories pertinentes concernant le développement de la personnalité. En d’autres termes : la psychologie évolutionniste peut nous aider non seulement à comprendre quelles sont les « commandes » de la nature humaine, mais aussi quel en est le réglage » [16].

Pour Philippe Truchet, si l’homme et la femme expriment le besoin de se rassurer sur leurs intentions amoureuses respectives en se déplaçant de façon latérale dans la rue, à la gauche et à la droite l’un de l’autre, ils reproduisent les codes de l’amour ancestral du paléolithique moyen où l’homo sapiens gardait son bras droit disponible pour protéger sa compagne [17].

Quant à Sabra E. Brook et Joseph F. Dooley, ils soulignent que les stratégies masculines et féminines face au changement nous arrivent en droite ligne de la vie dans les cavernes :

« La plupart des différences dans la manière d’aborder le changement trouvent leur origine dans les débuts de l’histoire de l’humanité. Les hommes étaient chargés de la chasse et pouvaient se consacrer pleinement à cette activité pour que l’ensemble de la tribu ait de quoi se nourrir (…) Les femmes, elles, s’occupaient de la cueillette. En même temps, elles veillaient sur leurs enfants et entretenaient le feu. Il est facile de voir comment les différences d’approches du changement ont germé chez nos ancêtres » [18].

S’il est fait référence à l’histoire dans les ouvrages s’appuyant sur la psychologie évolutionniste, ce n’est jamais l’histoire humaine au sens de la civilisation ou de l’histoire économique et sociale mais l’histoire des origines de l’espèce humaine, cette histoire d’avant l’histoire, cette préhistoire où les hommes étaient « chasseurs de repas » et les femmes « gardiennes du nid », une sorte d’espèce animale parmi d’autres [19].

Nous sommes bien, nous le voyons, en amont des siècles d’histoire qui ont « fabriqué la femme », qui l’ont enfermée dans un rôle convenu et l’ont obligée à se plier au statut d’objet passif que la société lui imposait. Nous sommes au temps de l’homo faber, où la femme « procréatrice » est limitée aux fonctions naturelles où l’enferme son destin biologique, alors que l’homme « inventeur » transcende cette condition animale en annexant le monde et en éprouvant son pouvoir.

L’argument scientifique qu’il soit, au XIXe siècle, celui des mesures physiques du squelette, du crâne ou du cerveau, ou, actuellement, celui des tests cognitifs, des gènes et des techniques de l’imagerie cérébrale, poursuit toujours le même objectif : trouver une trace matérielle de la différence entre hommes et femmes [20]. Privilégier les discours essentialistes sur les différences entre les sexes, pérennise l’idée que les deux sexes sont irréductiblement différents et transforme du même coup les faits historiques en faits naturels non modifiables.

L’explication « naturelle » des différences sociales entre hommes et femmes vise alors à occulter les processus sociaux de différenciation et de construction des sexes et présuppose que les hommes sont différents des femmes sans former pour autant une catégorie sociale spécifique collectivement en position de domination. Ce discours sur l’hétérosexualité comme équivalence présumée entre des principes masculin et féminin et sur leur complémentarité masque efficacement le fait que l’hétérosexualité « résulte d’une rencontre entre la vision masculine de la sexualité et son image miroir « l’homme dans la tête d’une femme » » [21].

Avec la psychologie évolutionniste, nous allons le voir, il ne s’agirait plus seulement pour l’amour hétérosexuel d’une dépendance affective liée à l’idéologie romantique qui pousse les femmes à se voir comme des êtres incomplets et à espérer la rencontre d’un homme miraculeux et unique dont l’amour permettrait d’achever la construction de leur identité de personne et de femme [22], mais d’une nécessaire complémentarité entre primates - le but ultime du sentiment amoureux, comme nous l’explique Lucy Vincent [23], étant la survie de l’espèce.

La psychologie évolutionniste au secours du couple hétérosexuel

La sexualité « naturelle » proposée par les adeptes de la psychologie évolutionniste reste fondée sur l’idée de la complémentarité sexuelle entre l’homme et la femme. Justifiant la libido masculine et les comportements genrés des hommes, ces théories appuient l’idée d’un plus grand désir sexuel chez l’homme et maintiennent les femmes dans une passivité nécessaire, laissant aux « guerriers » les initiatives :

« L’appétence sexuelle impulsive et enthousiaste des hommes a un objectif clair : assurer la survie de l’espèce » [24].

Les femmes, quant à elles, pour cause d’hypothalamus plus petit ont considérablement moins de désir que les hommes parce que, nous disent les auteurs, elles doivent avoir le temps nécessaire pour concevoir et pour élever un enfant jusqu’à l’autosuffisance :

« Le cerveau d’une femme est programmé pour trouver l’homme qui prendra l’engagement de rester suffisamment longtemps avec elle pour s’occuper de ses enfants » [25].

Pour cause d’hormones, les hommes, seraient ainsi de véritables « cuisinières à gaz », là où les femmes seraient des « fours électriques ». Les hommes auraient le « vagabondage sexuel » inscrit dans leur cerveau comme héritage de l’histoire de notre évolution, là où les femmes recherchaient le « bon partenaire ». Les hommes voudraient du sexe, les femmes voudraient de l’amour. La sexualité des femmes demeure donc attachée à ce que l’on appelle « l’éternel féminin », c’est-à-dire à « l’essence de la femme », à sa passivité et à sa douceur.

Il n’existe pas à ce jour d’enquête sur le lectorat de ces best-sellers, mais une étude en cours menée par Djaouida Sehili et moi-même sur les stéréotypes et la presse féminine nous conduit à penser qu’il existe un lien étroit entre cette production et l’orientation des articles sur le couple et/ou la sexualité dans des magazines tels que « Elle », « Marie-Claire » [26]. La lectrice qui souhaite une relation de couple satisfaisante doit ainsi assimiler les causes des différences de comportements entre hommes et femmes qui, ce faisant, la ramènent à l’ordre, c’est-à-dire à la soumission à ses caractéristiques neurobiologiques féminines.

Si la représentation dominante de la féminité a changé, en glissant d’une grande servilité et d’une parfaite soumission [27] vers une autonomie relative, la féminité de la femme active reste encore profondément attachée aux références de « l’éternel féminin ». Expliquant grâce à la psychologie évolutionniste ou comportementaliste qu’il est inutile de conquérir un homme sans le laisser être l’acteur décisionnel des premiers gestes amoureux et qu’il est vain de vouloir « apprivoiser » un homme sans devenir une femme « féminine » capable de renoncer de façon altruiste à ses intérêts propres, les ouvrages psy rivalisent de conseils qui ont tous les mêmes accents et qui reposent tous sur l’idée qu’il faut laisser les hommes être des hommes :

« A l’âge adulte, ce schéma de la conquête, de la chasse – au sens noble du terme – est donc une façon pour le mâle de commencer à jauger sa virilité, son éventuelle victoire sur les autres hommes et, par rapport à une femme, sa possible « puissance » sexuelle » [28].

Ainsi, pour expliquer le fait que les femmes et les hommes ont des stratégies conjugales et sexuelles différentes, il y est dit que les mâles humains seraient, par nature, enclins au vagabondage parce qu’ils peuvent assurer, grâce à lui, une large descendance en multipliant les rencontres et parce qu’ils sont attirés par des femmes jeunes et belles désignées, par ces critères mêmes, comme de bonnes reproductrices. Alors que les femelles humaines seraient à la recherche de « mâles dominants » pour trouver non seulement un bon reproducteur mais aussi un protecteur, puisqu’elles sont dans l’impossibilité de multiplier leur descendance en multipliant les partenaires et qu’elles doivent porter et allaiter leurs petits.

Ces théories, sans être citées en tant que telles, se retrouvent ces dernières années distillées dans un certain nombre d’ouvrages comme une évidence qui voudrait qu’à chaque époque, les femmes cherchent le père idéal pour leur progéniture : fort à l’âge des cavernes, intelligent et riche aujourd’hui.

« Tant que les femmes ne feront qu’un bébé par an, elles chercheront le mâle qui protège le mieux leur futur enfant », écrira ainsi Eric Zemour [29].

Elles sont également reprises par un psychiatre français, Patrick Lemoine qui n’hésite pas à affirmer que l’union de deux êtres résulte d’un compromis entre deux poussées antagonistes car, à notre insu, nous serions les jouets de notre atavisme tout autant que de la mode et des impératifs culturels et sociaux. La tendance masculine « naturelle » voudrait ainsi que les hommes sèment à tous vents et multiplient leurs partenaires afin d’assurer les chances de descendance et que ceux-ci, vus comme des animaux sociaux, obéissent (ou résistent) à deux tendances inverses : multiplier les conquêtes, accumuler épouses et concubines, féconder autant de partenaires possibles tout en faisant preuve d’une extrême jalousie :

« Encore une fois, les hommes cherchent de bonnes poulinières, jeunes donc saines, porteuses de bons gènes et par conséquent capables de mener à terme grossesse et élevage. Même les intermittents de l’amour veulent inconsciemment être certains de la perpétuation de leurs gènes » [30].

Quant à la tendance féminine « naturelle », elle se caractériserait par la recherche d’un partenaire unique et stable, porteur de bons gènes et capable d’assurer aux enfants un maximum de sécurité pour que chacun ait des chances de survie :

« Les femmes sont attirées par les bons étalons : la qualité de leurs chromosomes plus que leur santé est primordiale (…) La capacité à survivre, à être un leader, un chef de famille est fondamentale… L’attirance des nymphettes et des tempes argentées n’a pas d’autre racine » [31].

D’où le fait que les hommes préfèrent traditionnellement les rencontres brèves avec le plus grand nombre de partenaires et que les femmes recherchent une monogamie de longue durée. Ainsi, pour ces auteurs qui extrapolent des observations faites chez les singes aux humains :

« l’attraction hétérosexuelle est un trait héréditaire et de ce fait, très stable, sélectionné pour son avantage évolutionniste » [32].

C’est là oublier combien les humains loin de n’être seulement qu’une espèce de primates vivant en société, sont d’une espèce qui produit de la société pour vivre et possède la capacité de modifier ses formes d’existence sociale en transformant les rapports des hommes entre eux et avec la nature.

Si, comme le souligne Maurice Godelier, des trois formes naturelles de la sexualité, l’autosexualité, l’hétérosexualité et l’homosexualité, seule l’hétérosexualité est associée par l’évolution de la nature à la reproduction de la vie et à la continuité de l’espèce, il n’en reste pas moins qu’au cours de l’évolution, la sexualité humaine a acquis des caractéristiques spécifiques qui la distinguent de celle des autres primates. Du fait de la disjonction au sein de l’espèce humaine entre les deux sexualités, celle du désir et celle de le reproduction, la sexualité humaine « cérébralisée » envahit tout le corps et ne se confine pas dans les limites du génital.

« La sexualité humaine a ainsi poussé plus loin encore le polymorphisme de la sexualité chez les primates, c’est-à-dire le fait que la jouissance sexuelle peut être obtenue par trois types de rapports, homosexuels, autosexuels, aucune de ces formes n’étant d’ailleurs exclusive des autres sur le plan biologique, mais non bien sûr sur le plan culturel » [33].

Hétérosexualité procréatrice et homosexualité innée

La définition de la sexualité « naturelle » proposée par les discours religieux ou médicaux du XIXe siècle et début du XXe siècle maintenait l’idée de naturalisme dans les pratiques sexuelles (procréation et hétérosexualité). Dans la représentation contemporaine de la sexualité, la procréation n’occupe plus qu’un espace restreint, la sexualité en revanche devenant le cœur d’un domaine qui n’a cessé de s’élargir : l’intimité [34].

Une nouvelle tendance ne se réclamant pas d’un ordre moral ou religieux mais d’un savoir « psy » a également, ces dernières années, développé une approche individualiste et plurielle en prônant le plaisir et a apparemment dégagé la sexualité de la procréation, même si cette approche reste fondée sur l’idée de la « complémentarité sexuelle » entre l’homme et la femme, ainsi que sur les stéréotypes sexuels et genrés s’y rapportant. Aux mères productrices d’héritiers se sont substituées des femmes sexualisées…pourvoyeuses de stabilité dans le couple, soulignent ainsi Anne Simon et Christine Détrez [35]. Le but premier de la sexualité dans le couple ne semble plus dès lors être la procréation - l’épanouissement et le plaisir sexuel tenant une place de choix pour préserver la bonne entente conjugale.

Toutefois, si la vie sexuelle des femmes semble apparemment ne plus être identifiée à la fécondité, à la procréation et au mariage, il semble qu’avec l’éthologie, la neurobiologie et la psychologie évolutionniste, les stratégies amoureuses, conjugales et sexuelles, exactement comme chez les singes supérieurs, soient à nouveau fondamentalement associées à la reproduction. Occultant le fait que la sexualité humaine est une construction sociale totalement différente de la sexualité animale strictement dépendante de la biologie, programmée par la nature et pratiquée d’instinct, les « femelles » humaines rejoindraient le monde animal parce qu’elles seraient avant tout à la recherche de « mâles dominants » pour trouver non seulement un bon reproducteur mais aussi un protecteur puisqu’elles sont dans l’impossibilité de multiplier leur descendance en multipliant les partenaires et qu’elle doivent porter et allaiter leurs petits [36].

Partir d’individus mâles et femelles comme congénères de l’espèce vivante, rechercher des caractères psychologiques propres à chacun des sexes à partir de la neurobiologie, souligner la complémentarité de ses caractères et justifier le couple hétérosexuel par l’instinct irrépressible de la reproduction rappelle ainsi les thèmes les plus classique du familialisme. Cette tendance se retrouve également dans les ouvrages psy qui se centrent sur les femmes trentenaires célibataires et actives et mettent en exergue la situation d’urgence dans laquelle elles se trouveraient pour avoir un enfant « avant qu’il ne soit trop tard ».

Urgence « viscérale », puisque celles-ci seraient soumises non seulement à leur pulsion instinctuelle (un désir de maternité « surgissant des entrailles »), mais également aux limites de leur horloge biologique, toutes aussi naturelles :

« Bien des femmes se retrouvent face à ce désir surgissant de leurs entrailles : elles veulent plus que tout fonder une famille (…) Sacré horloge biologique ! Car les hommes ont le privilège de pouvoir donner la vie à tout âge, il n’en n’est pas de même pour la femme. La mi-trentaine sonne le glas des insouciances et de la vie vécue pour soi » [37].

Le regard de ces ouvrages s’inscrit profondément dans le modèle archaïque dominant qui veut que, sous l’apparence de nécessité biologique inscrite dans le corps des femmes, l’utilisation de leur corps par la procréation continue de se faire au profit des hommes [38].

Ce retour à la sexualité procréatrice et à l’essentialisme n’est pas sans influence sur les discours portés sur l’homosexualité. Pour les théoriciens essentialistes, en effet, l’homosexualité est une perversion, un défaut ou une déviance face à la norme hétérosexuelle, il s’agissait donc pour eux de trouver « La » cause qui pourrait l’expliquer. Selon les approches « psy », la cause est soit acquise en bas âge, soit de l’ordre de l’inné.

L’homosexualité, dans les discours « psy », est ainsi pour une part renvoyé au pathologique et, pour une autre part, renvoyé au biologique (physiologique, hormonale ou génétique). Un psychologue comme Tony Anatrella, outre son appartenance revendiquée à l’église catholique, s’inscrit dans un courant psychanalytique qui fonde son argumentation sur l’assimilation de la différence des sexes à l’hétérosexualité tout en faisant de l’homosexualité une sexualité restée au stade infantile. Son analyse vise à révéler le sens véritable de l’homosexualité : une sexualité non mature pour l’individu restée au stade primitif de la « préhistoire » pour l’humanité. Au plan individuel, l’homosexualité serait donc en fait un particularisme, pour ne pas dire une orientation pulsionnelle, témoignant d’une sexualité « prégénitale ».

Dans les ouvrages psy se revendiquant de la psychologie évolutionniste, tels que l’un des manuels d’Allan et Barbara Pease, les différences sont proclamées comme un fait naturel et irréductible et lorsque ces ouvrages parlent de femmes et d’hommes, il ne s’agit jamais de groupes sociaux qui entretiennent une relation déterminée et sont constitués, au sein même de cette relation, par des pratiques spécifiques.

Ainsi, l’on y voit réapparaître les caractères de déviance ou d’anomalie sur l’homosexualité, celle-ci relevant de l’innée et du génétique et non d’un choix :

« Alors que nous abordons le XXIe siècle, la plupart des générations qui nous ont précédées croient encore que l’homosexualité est un phénomène récent et un comportement « antinaturel ». La réalité, c’est que l’homosexualité existe depuis aussi longtemps que les fœtus males qui n’ont pas eu une dose suffisante d’hormones mâles (…) L’homosexualité est génétique ce n’est pas un choix » [39].

Sous couvert de vouloir rompre avec une critique de l’homosexualité (on naît homosexuel comme on naît gaucher ou avec les yeux bleus), sous prétexte de ne plus accuser les pères trop absents et les mères trop présentes, sous prétexte de déculpabiliser les homosexuels et d’enrayer les formes de discriminations, l’homosexualité est renvoyée à l’inné. Elle se fabriquerait dans le ventre de la mère. Trop de stress pendant la grossesse, la maladie et certains médicaments seraient la cause d’une élimination de la dose de testostérone nécessaire à la fabrication d’un enfant hétérosexuel et donc à la constitution d’un bébé « gay » :

« Aussi, si vous prévoyez d’être enceinte, il est bon de commencer à penser à faire une pause et de contrôler votre entourage pour éviter tout stress inutile » [40].

Le couple hétérosexuel contemporain « version psy » est fondé, on le voit, sur la nécessité de l’autre-différent [41] à tous les niveaux :

« Perçus à travers le filtre d’un amour hétérosexuel idéalisé, les rapports entre hommes et femmes sont présentés comme entièrement naturels, totalement symétriques, hautement désirables » [42].

Cette constitution et ce contrôle de la différence, générés par ces manuels, constituent en ce sens un acte de pouvoir puisque c’est un acte essentiellement normatif. En proposant de restaurer une communication propre à faire vivre et durer un couple « hétérosexuel » d’une façon intéressante et novatrice, en prenant en compte les nouvelles aspirations en matière d’amour, de réalisation de soi et d’autonomie mais aussi les différences dîtes « naturelles » entre hommes et femmes, cette littérature présente le couple hétérosexuel non seulement comme la norme à atteindre mais également comme condition d’épanouissement de la femme dans une sexualité prétendument libérée dont la finalité reste cependant toujours l’investissement reproductif.

L’héroïne de nos ouvrages « psy » peut et doit être une femme fière de son droit au plaisir (hétéro)sexuel, c’est là même l’une des conditions d’un couple réussi, mais, exactement comme par le passé, son succès le plus marquant est sa capacité de reproduction :

« Et de façon surprenante, nous les mères, en accouchant nos enfants « par le bas », nous commençons notre propre accouchement « par le haut » » [43].

Ou pour dire les choses autrement : pour vivre une sexualité très variée, elle n’en n’est pas moins une « femelle », censée obéir à sa nature et se réaliser pleinement par l’enfantement.
P.-S.

Irène Jonas est sociologue indépendante.

Cet article est extrait du livre dirigé par Catherine Deschamps, Laurent Gaissad et Christelle Taraud, Hétéros. Discours, lieux, pratiques, et publié aux Editions EPEL.
Textes de Irène Jonas

Les ouvrages « psy » sur le couple , 12 avril

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Notes

[1] Alain Giami, « Cent d’hétérosexualité », Actes de la recherche en sciences sociales, volume 128, n°1, 1999, pp.38-45.

[2] Robert Castel et Jean-François Le Cerf, « Le phénomène « psy » et la société française », Le Débat, n°3, juin-août 1980, pp. 22-31.

[3] Dominique Melh, La bonne parole. Quand les psys plaident dans les médias, Paris, La Martinière, 2003.

[4] Les Editions Odile Jacob et Robert Laffont ont pour exemple de nombreux ouvrages centrés sur le couple.

[5] Un ouvrage comme celui d’Allan et Barbara Pease, Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières (Paris, First Editions, 2001) est devenu un best-seller mondial, vendu à six millions d’exemplaires dans trente trois pays. Celui de John Gray, Les hommes viennent de Mars, les femmes de Vénus (Paris, J’ai Lu, 1998) s’est lui vendu à sept millions d’exemplaires outre Atlantique.

[6] François De Singly, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, 1996, p.9.

[7] Pour n’en citer que quelques uns : Jaoui Hubert et Bulleri Laura, J’aime mon couple et je le soigne, Paris, Interéditions, 2004 ; Neuburger Robert, On arrête ?… On continue ?, Paris, Payot, 2002 ; Salomé Jacques, Jamais seul ensembles, Paris, Editions de l’Homme, 1995.

[8] Irène Jonas, « L’antiféminisme des nouveaux traités de savoir vivre à l’usage des femmes », Nouvelles Questions Féministes, volume 25, n°2, 2006, pp.82-97.

[9] Je pense là aux auteurs tels que Allan et Barbara Pease, John Gray, Philip Mac Graw, Alon Gratch, Bradley Gerstman avec Chritopher Pizzo et Rich Seldes.

[10] Hélène Willer, Les homme et les femmes, etc, paris, Marabout, 2001, p.9.

[11] Irène Jonas, « Les relations entre hommes et femmes au miroir de la littérature de thérapie de couple », Recherches et Prévisions, n°89, septembre 2007, pp. 21-30

[12] Philippe Brenot, Inventer le couple, Paris, Odile Jacob, 2001, p.206.

[13] Philippe Turchet, Pourquoi les hommes marchent-ils à gauche des femmes ?, Québec, Editions de l’Homme, 2001, p.57.

[14] Marie-France Pichevin, « De la discrimination sociale entre les sexes aux automatismes psychologiques : serions-nous tous sexistes », dans [Auteur qui dirige], La place des femmes, Paris, La Découverte, collection « Recherches », 1995, pp.30-39.

[15] Michelle Perrot, « Identité, égalité, différence. Le regard de l’histoire », dans [Auteur qui dirige], op.cit., pp.30-39.

[16] Robert Wright, L’animal moral, psychologie évolutionniste et vie quotidienne, Paris, Gallimard/Folio, collection « Documents », 2005, p.139.

[17] Philippe Truchet, op.cité.

[18] Sabra E. Brook et Joseph F. Dooley, Pourquoi les hommes regardent à gauche et les femmes à droite, Paris, City Editions, 2005, p.41.

[19] Ainsi chez John Gray, il s’agit d’une histoire symbolisée par un développement différencié des sexes sur deux planètes distinctes, avant que les hommes et les femmes ne se retrouvent sur terre.

[20] Catherine Vidal et Dorothée Benoît-Browaes, Cerveau, sexe et pouvoir, Paris, Belin, 2005.

[21] Ilana Löwy, L’emprise du genre, Paris, La Dispute, 2006, p.85.

[22] Sonia Dayan-Herzbrun, « Production du sentiment amoureux et travail des femmes », Cahiers Internationaux de Sociologie, n°72, 1982, pp.113-130.

[23] Lucy Vincent, Comment devient-on amoureux ?, Paris, Odile Jacob, 2004.

[24] Barbara et Allan Pease, op.cit, p.328.

[25] Ibid, p.331.

[26] Un article tiré du dossier « Lui et moi : pourquoi nos esprit divergent ? » du magazine Marie-Claire (octobre 2007) explique ainsi aux femmes en 6 paragraphes que les différences de configuration neurobiologiques entre les sexes permettent de comprendre la façon dont esprit féminin et esprit masculin divergent.

[27] Cette représentation d’une « nouvelle » féminité est particulièrement repérable dans la presse féminine.

[28] Hélène Vecchiali, Ainsi Soient-ils, Paris, Calmann-Lévy, 2005, p.20.

[29] Eric Zemour, Le premier sexe, reste de la référence ?

[30] Patrick Lemoine, op.cit, p.237.

[31] Ibid.

[32] Ilana Löwy, op.cit, p.67.

[33] Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté, Paris, Fayard, 2004, p. 481.

[34] Michel Bozon, « Sexualité et genre », dans Jacqueline Laufer, Catherine Marry, Margaret Maruani (dir.), Masculin-Féminin, Questions pour les sciences de l’homme, Paris, PUF, 201, pp.169-186.

[35] Christine Detrez et Anne Simon, A leur corps défendant, Paris, le Seuil, 2006.

[36] Robert Wright, op.cit, 2005.

[37] Jean Côté, Femme cherche homme qui fuit. Comment gagner au jeu amoureux ?, Québec, Vox Populi, 2003, p.92.

[38] Françoise Héritier, Masculin/Féminin, tome 2, Paris, Odile Jacob, p.363.

[39] Allan et Barbara Pease, op.cit, p.299.

[40] Ibid, p.314.

[41] Le terme est emprunté à Monique Wittig, La pensée straight, Paris, Balland, 2001.

[42] Ilana Löwy, op.cit, p.56.

[43] Hélène Vecchiali, op.cit, p.90.


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