Maladies neurodégénératives : « Rien n’est fait pour enrayer la pandémie »
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Maladies neurodégénératives : « Rien n’est fait pour enrayer la pandémie »
Maladies neurodégénératives : « Rien n’est fait pour enrayer la pandémie »
Aujourd’hui, c’est la Journée mondiale contre la maladie d’Alzheimer – youpi. L’occasion de rappeler que si médias et spécialistes évoquent souvent l’explosion du nombre de malades, les causes de cette explosion sont rarement abordées, voire jamais. Un « oubli » que tentent de réparer Marie Grosman et Roger Lenglet, auteurs de « Menaces sur nos neurones. Alzheimer, Parkinson... et ceux qui en profitent. » Entretien.
Cet entretien a été publié dans le numéro 9 de la version papier d’Article11
***
C’est un livre uppercut, dérangeant. Et qui assène des vérités que bien peu veulent entendre. Dans Menaces sur nos neurones (Actes Sud, 2011), Marie Grosman et Roger Lenglet1 dissèquent au scalpel l’affolant développement des maladies neurologiques en France. Au premier rang de celles-ci, la maladie d’Alzheimer – 800 000 à 1 million de Français en souffrent déjà, 225 000 nouveaux cas sont recensés chaque année –, mais aussi la maladie de Parkinson, l’autisme, la sclérose en plaques, etc. Là où pouvoirs publics et instances médicales officielles s’entendent pour ne parler que de traitements, les auteurs de Menaces sur nos neurones mettent à jour les causes de cette explosion et les raisons de la paralysie de la prévention.
S’appuyant sur de multiples études scientifiques publiées dans des revues internationales de référence, l’ouvrage trace un tableau effrayant des agressions contemporaines subies par nos cerveaux : mercure, pesticides, aluminium, plomb, PCB, PBDE, particules ultrafines, ondes électromagnétiques... Une « folle bacchanale » d’éléments neurotoxiques conséquence d’« un demi-siècle de prolifération de substances chimiques, de lobbying industriel, d’indulgences calculatrices et de refoulement des questions de santé embarrassantes ».
En 1999, lors de la présentation d’une étude menée sur la présence d’aluminium dans l’eau du robinet, un haut fonctionnaire avait supplié Marie Grosman et Roger Lenglet, qui l’avait rédigée, de rester discrets : « N’affolez pas la population. Surtout, ne créez pas de panique ! » Les instances officielles voudraient qu’il en soit aujourd’hui de même pour leurs conclusions sur les maladies neurodégénératives. Peine perdue : ils comptent bien continuer le combat.
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Quand vous avez commencé cette enquête, vous pensiez déboucher sur un constat si accablant ?
Roger : « En partie. Pour les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, les chiffres montrant qu’il y a une véritable explosion du nombre de malades sont connus depuis un certain temps. Mais nous n’imaginions pas que l’ensemble des maladies du cerveau soit concerné. Ni que la catastrophe progresse aussi rapidement. Ça paraît pourtant évident dès qu’on se penche sur les études épidémiologiques, les témoignages des professionnels de la santé ou les conclusions des colloques en neurologie.
L’ampleur du déni nous a également soufflés. Alors que le niveau de connaissances est désormais très élevé, la prise en compte de ces données se révèle d’une faiblesse hallucinante. Ce que nous avions déjà remarqué sur nos sujets de prédilection (le scandale du mercure pour Marie, celui de l’aluminium pour moi), à savoir l’immobilisme absolu en matière de prévention, se vérifie en fait à tous les stades. »
Marie : « Une étude du Collège européen de neuropsychopharmacologie, publiée en septembre 2011, a montré que plus de 38 % des habitants de l’Union européenne souffrent de maladies ou troubles neurologiques. Ces affections sont responsables de plus de la moitié des Années vécues avec une incapacité (AVI2), bien davantage que le cancer ou le diabète. Et les projections s’avèrent effrayantes : elles prévoient de 115 à 130 millions de malades d’Alzheimer dans le monde à l’horizon 2050. Malgré ce constat terrible et ces perspectives accablantes, rien n’est fait pour enrayer la pandémie. »
Pourquoi le volet prévention est-il si négligé ?
Roger : « L’attention de l’ensemble des acteurs de la santé se polarise sur les profits potentiels : traitements et accompagnement, maisons médicalisées, recherches de brevets pour de nouveaux traitements et pour des tests de diagnostic précoce, etc. Comme la prévention n’a rien de rentable, personne ne s’en charge. Quelle entreprise va investir dans une campagne contre les expositions aux produits neurotoxiques sans le moindre bénéfice en vue ? Par contre, les investissements dans les traitements sont d’autant plus lucratifs que la pandémie est quasi exponentielle.
La recherche médicale est désormais totalement vampirisée par le privé. Même la recherche publique est devenue la sous-traitante des intérêts du privé. Si l’État ne met pas un centime dans la prévention, personne ne le fera.
S’y ajoute le fait que les études mettant en évidence les causes de ces maladies ne sont lues que par les spécialistes du sujet. Nous nous trouvons dans une situation schizophrénique, comparable à celle de l’amiante dans les années 1990 : il a fallu que les malades eux-mêmes se mobilisent massivement pour finalement imposer l’idée qu’il fallait interdire la substance cancérigène. »
Marie : « Il est difficile de faire passer un message de prévention quand les causes sont multiples. Pour les maladies du cerveau, c’est souvent le cas : s’il y a des situations où la substance neurotoxique est assez puissante pour provoquer à elle seule la maladie neurologique (c’est le cas du mercure et de certains pesticides), nous sommes généralement plutôt confrontés à un « effet cocktail ». La configuration idéale pour un déni massif – même si les différents facteurs de risque sont identifiés, notamment grâce aux recherches épidémiologiques et toxicologiques. »
La situation semble sans issue...
Marie : « Notre cerveau est soumis à une multitude de toxiques présents à faible dose dans notre environnement, et agissant souvent en synergie. Mais il serait dramatique de prendre prétexte de cette complexité pour ne rien faire. D’autant que ce n’est pas insurmontable : il est possible d’abaisser l’exposition à telle et telle substance en remplaçant son usage par des produits non-toxiques. L’interdiction d’utiliser le plomb comme additif dans l’essence a ainsi réduit de façon importante l’exposition de la population à ce redoutable neurotoxique, responsable de déficits cognitifs chez de nombreux enfants. »
Roger : « Des solutions concrètes existent. Il faut se battre à tous les niveaux, comme ça a été le cas contre l’amiante ou contre les éthers de glycol, malgré les pressions des industriels concernés. Le règlement REACH, qui impose d’enregistrer et d’évaluer les substances chimiques au niveau européen, en est une belle illustration, même s’il comporte encore des failles importantes pour les substances dont la production ne dépasse pas une certaine quantité. Depuis 2006, la majorité des substances mises sur le marché doit faire l’objet d’une évaluation, avec le risque d’un éventuel retrait de licence. Les industriels parlaient d’ « Armageddon économique », mais REACH a finalement vu le jour. C’est un début.
Nous nous sommes également rendus compte qu’il était possible d’imposer des accords commerciaux à condition que les ONG s’organisent pour amplifier leur pression. Ce que fait Marie avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en est un bon exemple : elle est la représentante pour la France et l’Europe des ONG mobilisées pour l’interdiction de l’usage du mercure. Sur ce dossier important, un accord international d’interdiction avec 125 pays est sur le point d’aboutir. L’argument qui consiste à dire que la machine infernale est lancée et impossible à stopper est criminel. La situation exige simplement toute notre énergie face à des lobbies industriels capables de payer des légions de représentants à longueur d’année pour défendre leurs produits délétères. »
L’explosion de ces pathologies est toujours imputée aux deux mêmes causes : le vieillissement de la population et l’amélioration du diagnostic. Que répondez-vous lorsqu’on vous oppose ces arguments ?
Marie : « L’amélioration du diagnostic est une évidence, mais il faut garder à l’esprit les proportions. Prenons l’exemple de l’autisme : un diagnostic plus précoce ne suffit pas à expliquer la multiplication sidérante des cas. Aujourd’hui, on dénombre 600 000 personnes autistes en France, et le nombre d’enfants concernés a été multiplié par 50 en 17 ans. Par définition, le vieillissement de la population n’est évidemment pas en cause pour l’autisme.
Même dans le cas de la maladie d’Alzheimer, considérée comme une maladie du grand âge, de plus en plus de « jeunes » sont touchés : la France compte aujourd’hui de 30 à 50 000 malades de moins de 60 ans. Même les adolescents commencent à être concernés : le plus jeune cas a été décelé à 13 ans. »
Roger : « Si les personnes âgées sont plus touchées, c’est essentiellement en raison du temps de latence entre l’exposition aux causes et le déclenchement de la maladie. Il en va de même pour les cancers. C’est ce délai qui permet tous les scandales sanitaires. Plus le temps de latence est long, plus il est facile d’ignorer les causes. L’amiante avait donné lieu à un discours semblable, façon : « C’est une maladie de vieux, il faut bien mourir de quelque chose. » Mais les expositions à l’origine de la maladie remontaient à 30 ou 40 ans auparavant ! Imputer la maladie à la vieillesse est un abus de langage qui crée un obstacle intellectuel. C’est confondre la cause et le contexte d’apparition. »
Marie : « De nombreuses études permettent de comprendre la progression de l’épidémie et le fait qu’elle n’est pas liée à la vieillesse. Une étude de l’université de Southampton, portant sur tous les pays de l’Union européenne, a par exemple analysé l’évolution des décès dus à des maladies neurologiques entre 1979 et 1997, chez les personnes de moins de 74 ans. Sa conclusion : le nombre de ces décès a été multiplié par trois en moins de 20 ans. L’auteur principal, Colin Pritchard, a confié : « Ce qui me fait réellement peur, ce n’est pas qu’ils sont plus nombreux, mais qu’ils sont de plus en plus jeunes. » Bien que l’étude ait été publiée dans un journal scientifique réputé (Public Health), personne n’en a parlé en France. »
Les médicaments contre Alzheimer sont inefficaces ou dangereux, à l’image de l’Aricept dont vous écrivez que « le rapport bénéfice/risque est caricatural ». Pourquoi continuent-ils à être prescrits en masse ?
Marie : « C’est un scandale. Concernant ces médicaments, tout le monde est d’accord, sauf les labos et leurs porte-voix : à quelques exceptions près, ces traitements sont inefficaces et n’améliorent pas le bien-être. Ils ont par contre des effets indésirables, dont certains très graves, ce que démontrent plusieurs études. Il y a également eu des alertes récurrentes de la revue Prescrire à ce sujet.
Nous pensions que les choses changeraient après la plainte d’une association contre la Haute Autorité de Santé (HAS), l’accusant de n’avoir pas respecté ses propres règles déontologiques sur les conflits d’intérêts (notamment la règle consistant à écarter les avis des experts rémunérés par les producteurs des médicaments concernés). Il semblait impossible que la HAS maintienne sa recommandation en faveur de ces médicaments. Ce fut pourtant le cas : si le « service médical rendu » a été abaissé d’« important » à « faible », ces traitements continuent à être remboursés à 65 %. C’est aberrant : des centaines de milliers de personnes sont traitées avec ces médicaments dangereux et inutiles. »
Vous écrivez en conclusion : « Le mélange de genres entre l’affairisme, l’expertise et la recherche a littéralement endigué la prise en compte des données scientifiques qui échappent aux injonctions lucratives et aux perspectives de brevets. » Comment en est-on arrivé là ?
Roger : « Se pose d’abord la question de l’omerta, qui ne concerne pas uniquement la rétention volontaire d’information, mais également l’autocensure, la peur de dire des choses, la discrétion… En outre, les différents acteurs de cette tragédie forment un puzzle, imbriquant aussi bien les labos que les leaders d’opinion ou les politiques. On y retrouve tous les ingrédients typiques du lobbying, avec des gens qui manipulent l’opinion et ont intérêt à ce que rien ne change. Notamment à cause de l’effet d’aubaine économique autour de ces maladies. D’où le déni, ce désir général de ne pas soulever le tapis.
Autre ingrédient classique : le son de cloche officiel est donné par ceux-là mêmes qui ont des intérêts dans la manière de poser le sujet et les solutions. Une configuration qu’on retrouve dans de nombreux scandales sanitaires (sang contaminé, nuage de Tchernobyl, amiante, éthers de glycol, exposition des ouvriers aux radiations dans les centrales nucléaires...). »
Marie : « Même lorsque les responsables sont pris les doigts dans le pot de confiture, comme dans le cas du Mediator, la réforme en profondeur - pourtant promise - ne vient jamais. Ce qui est fait reste très superficiel. »
Roger : « La prévention n’est envisagée que si elle ne menace aucun intérêt important. Par exemple s’il s’agit de causes infectieuses : alerter sur les dangers d’un microbe est plus facile que pointer la responsabilité d’une substance commercialisée par de grands groupes industriels. D’autant que ces derniers financent des études pour obtenir des résultats favorables à leurs produits. L’exemple des méfaits du téléphone portable est significatif. Dès la fin des années 1990, deux sortes d’études sont apparues - celles financées par les opérateurs affirmaient que l’usage du portable était inoffensif ; les autres concluaient à près de 80 % à sa nocivité.
Nous sommes tous embarqués à bord d’un avion de plus en plus grand et de moins en moins stable. Ceux qui en ont clairement conscience ne sont pas assez nombreux ni pris au sérieux. Pour le portable, massivement utilisé dans le monde entier, les risques encourus s’avèrent pourtant énormes. La mondialisation du risque nous promet le pire. L’actuelle pandémie de maladies du cerveau n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. »
Alors que votre livre traite d’une question de santé publique fondamentale, les médias n’en ont quasiment pas parlé...
Roger : « Nous nous y attendions. Les journalistes ont peur de s’aventurer dans des domaines qu’ils ne maîtrisent pas et qui mettent gravement en cause des personnalités de premier plan, aussi bien des politiques (je pense en particulier aux ministres de la Santé et de l’Environnement) que des chefs d’industrie et des experts officiels. C’était pareil pour l’amiante avant 1995 : les journalistes craignaient la technicité des dossiers et se montraient incrédules devant l’énormité du déni. Et puis, les lobbies ont eu toute liberté pour répandre leur propagande dans les médias, notamment à la télévision.
Ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change matraquent le public. Le discours des gros leaders d’opinion sur la maladie d’Alzheimer, des gens ayant souvent des liens d’intérêt avec les firmes concernées (rémunérations pour les expérimentations sur les patients, participations financières…), est très représentatif. Le simple fait de rappeler leur situation schizophrène les rend furieux. À l’image du professeur Dubois : ce chef du service neurologique de la Pitié-Salpêtrière s’est offusqué du fait qu’un journaliste de France soir ose le lui rappeler. Dans son cas, pourtant, il s’agissait seulement d’admettre une évidence. Cette attitude est d’autant plus regrettable que la loi impose aux professionnels de santé de faire mention de ces liens d’intérêt chaque fois qu’’ils s’adressent au public. »
Marie : « Beaucoup de spécialistes refusent de prendre un peu de hauteur vis-à-vis du consensus dominant. Quand je suis passée sur France Culture, le responsable de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière de la Salpêtrière, le Pr Agid, devait être présent. Mais il a annulé sa venue après avoir lu notre ouvrage, qu’il a qualifié de « livre anti-scientifique et anti-médical ». Un comble au regard du nombre d’études sur lesquelles nous nous appuyons. De telles critiques font penser à celles de Claude Allègre : désigner les contradicteurs comme obscurantistes permet d’éviter de débattre avec eux. »
Roger : « Ce monsieur Agid oublie nos parcours respectifs et les dossiers que nous avons défendus depuis vingt ans : affaires de l’amiante, du mercure, de l’aluminium, du manque d’indépendance de l’agence du médicament, etc. S’agit-il de combats obscurantistes ? En réalité, le milieu des mandarins n’a pas fait ce travail de synthèse et d’alerte. Leur cécité se trouve du même coup gravement mise en cause. »
1 Marie Grosman, agrégée en Sciences de la vie et de la terre, est spécialiste en santé publique et en santé environnementale. Roger Lenglet est philosophe et journaliste d’investigation en santé publique.
2 Terme médical. Il s’agit de mesurer les années de vie perdues parce que vécues dans un état autre que « en pleine santé ».
http://www.article11.info/?Maladies-neurodegeneratives-Rien-n
Aujourd’hui, c’est la Journée mondiale contre la maladie d’Alzheimer – youpi. L’occasion de rappeler que si médias et spécialistes évoquent souvent l’explosion du nombre de malades, les causes de cette explosion sont rarement abordées, voire jamais. Un « oubli » que tentent de réparer Marie Grosman et Roger Lenglet, auteurs de « Menaces sur nos neurones. Alzheimer, Parkinson... et ceux qui en profitent. » Entretien.
Cet entretien a été publié dans le numéro 9 de la version papier d’Article11
***
C’est un livre uppercut, dérangeant. Et qui assène des vérités que bien peu veulent entendre. Dans Menaces sur nos neurones (Actes Sud, 2011), Marie Grosman et Roger Lenglet1 dissèquent au scalpel l’affolant développement des maladies neurologiques en France. Au premier rang de celles-ci, la maladie d’Alzheimer – 800 000 à 1 million de Français en souffrent déjà, 225 000 nouveaux cas sont recensés chaque année –, mais aussi la maladie de Parkinson, l’autisme, la sclérose en plaques, etc. Là où pouvoirs publics et instances médicales officielles s’entendent pour ne parler que de traitements, les auteurs de Menaces sur nos neurones mettent à jour les causes de cette explosion et les raisons de la paralysie de la prévention.
S’appuyant sur de multiples études scientifiques publiées dans des revues internationales de référence, l’ouvrage trace un tableau effrayant des agressions contemporaines subies par nos cerveaux : mercure, pesticides, aluminium, plomb, PCB, PBDE, particules ultrafines, ondes électromagnétiques... Une « folle bacchanale » d’éléments neurotoxiques conséquence d’« un demi-siècle de prolifération de substances chimiques, de lobbying industriel, d’indulgences calculatrices et de refoulement des questions de santé embarrassantes ».
En 1999, lors de la présentation d’une étude menée sur la présence d’aluminium dans l’eau du robinet, un haut fonctionnaire avait supplié Marie Grosman et Roger Lenglet, qui l’avait rédigée, de rester discrets : « N’affolez pas la population. Surtout, ne créez pas de panique ! » Les instances officielles voudraient qu’il en soit aujourd’hui de même pour leurs conclusions sur les maladies neurodégénératives. Peine perdue : ils comptent bien continuer le combat.
JPEG - 71.5 ko
Quand vous avez commencé cette enquête, vous pensiez déboucher sur un constat si accablant ?
Roger : « En partie. Pour les maladies d’Alzheimer ou de Parkinson, les chiffres montrant qu’il y a une véritable explosion du nombre de malades sont connus depuis un certain temps. Mais nous n’imaginions pas que l’ensemble des maladies du cerveau soit concerné. Ni que la catastrophe progresse aussi rapidement. Ça paraît pourtant évident dès qu’on se penche sur les études épidémiologiques, les témoignages des professionnels de la santé ou les conclusions des colloques en neurologie.
L’ampleur du déni nous a également soufflés. Alors que le niveau de connaissances est désormais très élevé, la prise en compte de ces données se révèle d’une faiblesse hallucinante. Ce que nous avions déjà remarqué sur nos sujets de prédilection (le scandale du mercure pour Marie, celui de l’aluminium pour moi), à savoir l’immobilisme absolu en matière de prévention, se vérifie en fait à tous les stades. »
Marie : « Une étude du Collège européen de neuropsychopharmacologie, publiée en septembre 2011, a montré que plus de 38 % des habitants de l’Union européenne souffrent de maladies ou troubles neurologiques. Ces affections sont responsables de plus de la moitié des Années vécues avec une incapacité (AVI2), bien davantage que le cancer ou le diabète. Et les projections s’avèrent effrayantes : elles prévoient de 115 à 130 millions de malades d’Alzheimer dans le monde à l’horizon 2050. Malgré ce constat terrible et ces perspectives accablantes, rien n’est fait pour enrayer la pandémie. »
Pourquoi le volet prévention est-il si négligé ?
Roger : « L’attention de l’ensemble des acteurs de la santé se polarise sur les profits potentiels : traitements et accompagnement, maisons médicalisées, recherches de brevets pour de nouveaux traitements et pour des tests de diagnostic précoce, etc. Comme la prévention n’a rien de rentable, personne ne s’en charge. Quelle entreprise va investir dans une campagne contre les expositions aux produits neurotoxiques sans le moindre bénéfice en vue ? Par contre, les investissements dans les traitements sont d’autant plus lucratifs que la pandémie est quasi exponentielle.
La recherche médicale est désormais totalement vampirisée par le privé. Même la recherche publique est devenue la sous-traitante des intérêts du privé. Si l’État ne met pas un centime dans la prévention, personne ne le fera.
S’y ajoute le fait que les études mettant en évidence les causes de ces maladies ne sont lues que par les spécialistes du sujet. Nous nous trouvons dans une situation schizophrénique, comparable à celle de l’amiante dans les années 1990 : il a fallu que les malades eux-mêmes se mobilisent massivement pour finalement imposer l’idée qu’il fallait interdire la substance cancérigène. »
Marie : « Il est difficile de faire passer un message de prévention quand les causes sont multiples. Pour les maladies du cerveau, c’est souvent le cas : s’il y a des situations où la substance neurotoxique est assez puissante pour provoquer à elle seule la maladie neurologique (c’est le cas du mercure et de certains pesticides), nous sommes généralement plutôt confrontés à un « effet cocktail ». La configuration idéale pour un déni massif – même si les différents facteurs de risque sont identifiés, notamment grâce aux recherches épidémiologiques et toxicologiques. »
La situation semble sans issue...
Marie : « Notre cerveau est soumis à une multitude de toxiques présents à faible dose dans notre environnement, et agissant souvent en synergie. Mais il serait dramatique de prendre prétexte de cette complexité pour ne rien faire. D’autant que ce n’est pas insurmontable : il est possible d’abaisser l’exposition à telle et telle substance en remplaçant son usage par des produits non-toxiques. L’interdiction d’utiliser le plomb comme additif dans l’essence a ainsi réduit de façon importante l’exposition de la population à ce redoutable neurotoxique, responsable de déficits cognitifs chez de nombreux enfants. »
Roger : « Des solutions concrètes existent. Il faut se battre à tous les niveaux, comme ça a été le cas contre l’amiante ou contre les éthers de glycol, malgré les pressions des industriels concernés. Le règlement REACH, qui impose d’enregistrer et d’évaluer les substances chimiques au niveau européen, en est une belle illustration, même s’il comporte encore des failles importantes pour les substances dont la production ne dépasse pas une certaine quantité. Depuis 2006, la majorité des substances mises sur le marché doit faire l’objet d’une évaluation, avec le risque d’un éventuel retrait de licence. Les industriels parlaient d’ « Armageddon économique », mais REACH a finalement vu le jour. C’est un début.
Nous nous sommes également rendus compte qu’il était possible d’imposer des accords commerciaux à condition que les ONG s’organisent pour amplifier leur pression. Ce que fait Marie avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) en est un bon exemple : elle est la représentante pour la France et l’Europe des ONG mobilisées pour l’interdiction de l’usage du mercure. Sur ce dossier important, un accord international d’interdiction avec 125 pays est sur le point d’aboutir. L’argument qui consiste à dire que la machine infernale est lancée et impossible à stopper est criminel. La situation exige simplement toute notre énergie face à des lobbies industriels capables de payer des légions de représentants à longueur d’année pour défendre leurs produits délétères. »
L’explosion de ces pathologies est toujours imputée aux deux mêmes causes : le vieillissement de la population et l’amélioration du diagnostic. Que répondez-vous lorsqu’on vous oppose ces arguments ?
Marie : « L’amélioration du diagnostic est une évidence, mais il faut garder à l’esprit les proportions. Prenons l’exemple de l’autisme : un diagnostic plus précoce ne suffit pas à expliquer la multiplication sidérante des cas. Aujourd’hui, on dénombre 600 000 personnes autistes en France, et le nombre d’enfants concernés a été multiplié par 50 en 17 ans. Par définition, le vieillissement de la population n’est évidemment pas en cause pour l’autisme.
Même dans le cas de la maladie d’Alzheimer, considérée comme une maladie du grand âge, de plus en plus de « jeunes » sont touchés : la France compte aujourd’hui de 30 à 50 000 malades de moins de 60 ans. Même les adolescents commencent à être concernés : le plus jeune cas a été décelé à 13 ans. »
Roger : « Si les personnes âgées sont plus touchées, c’est essentiellement en raison du temps de latence entre l’exposition aux causes et le déclenchement de la maladie. Il en va de même pour les cancers. C’est ce délai qui permet tous les scandales sanitaires. Plus le temps de latence est long, plus il est facile d’ignorer les causes. L’amiante avait donné lieu à un discours semblable, façon : « C’est une maladie de vieux, il faut bien mourir de quelque chose. » Mais les expositions à l’origine de la maladie remontaient à 30 ou 40 ans auparavant ! Imputer la maladie à la vieillesse est un abus de langage qui crée un obstacle intellectuel. C’est confondre la cause et le contexte d’apparition. »
Marie : « De nombreuses études permettent de comprendre la progression de l’épidémie et le fait qu’elle n’est pas liée à la vieillesse. Une étude de l’université de Southampton, portant sur tous les pays de l’Union européenne, a par exemple analysé l’évolution des décès dus à des maladies neurologiques entre 1979 et 1997, chez les personnes de moins de 74 ans. Sa conclusion : le nombre de ces décès a été multiplié par trois en moins de 20 ans. L’auteur principal, Colin Pritchard, a confié : « Ce qui me fait réellement peur, ce n’est pas qu’ils sont plus nombreux, mais qu’ils sont de plus en plus jeunes. » Bien que l’étude ait été publiée dans un journal scientifique réputé (Public Health), personne n’en a parlé en France. »
Les médicaments contre Alzheimer sont inefficaces ou dangereux, à l’image de l’Aricept dont vous écrivez que « le rapport bénéfice/risque est caricatural ». Pourquoi continuent-ils à être prescrits en masse ?
Marie : « C’est un scandale. Concernant ces médicaments, tout le monde est d’accord, sauf les labos et leurs porte-voix : à quelques exceptions près, ces traitements sont inefficaces et n’améliorent pas le bien-être. Ils ont par contre des effets indésirables, dont certains très graves, ce que démontrent plusieurs études. Il y a également eu des alertes récurrentes de la revue Prescrire à ce sujet.
Nous pensions que les choses changeraient après la plainte d’une association contre la Haute Autorité de Santé (HAS), l’accusant de n’avoir pas respecté ses propres règles déontologiques sur les conflits d’intérêts (notamment la règle consistant à écarter les avis des experts rémunérés par les producteurs des médicaments concernés). Il semblait impossible que la HAS maintienne sa recommandation en faveur de ces médicaments. Ce fut pourtant le cas : si le « service médical rendu » a été abaissé d’« important » à « faible », ces traitements continuent à être remboursés à 65 %. C’est aberrant : des centaines de milliers de personnes sont traitées avec ces médicaments dangereux et inutiles. »
Vous écrivez en conclusion : « Le mélange de genres entre l’affairisme, l’expertise et la recherche a littéralement endigué la prise en compte des données scientifiques qui échappent aux injonctions lucratives et aux perspectives de brevets. » Comment en est-on arrivé là ?
Roger : « Se pose d’abord la question de l’omerta, qui ne concerne pas uniquement la rétention volontaire d’information, mais également l’autocensure, la peur de dire des choses, la discrétion… En outre, les différents acteurs de cette tragédie forment un puzzle, imbriquant aussi bien les labos que les leaders d’opinion ou les politiques. On y retrouve tous les ingrédients typiques du lobbying, avec des gens qui manipulent l’opinion et ont intérêt à ce que rien ne change. Notamment à cause de l’effet d’aubaine économique autour de ces maladies. D’où le déni, ce désir général de ne pas soulever le tapis.
Autre ingrédient classique : le son de cloche officiel est donné par ceux-là mêmes qui ont des intérêts dans la manière de poser le sujet et les solutions. Une configuration qu’on retrouve dans de nombreux scandales sanitaires (sang contaminé, nuage de Tchernobyl, amiante, éthers de glycol, exposition des ouvriers aux radiations dans les centrales nucléaires...). »
Marie : « Même lorsque les responsables sont pris les doigts dans le pot de confiture, comme dans le cas du Mediator, la réforme en profondeur - pourtant promise - ne vient jamais. Ce qui est fait reste très superficiel. »
Roger : « La prévention n’est envisagée que si elle ne menace aucun intérêt important. Par exemple s’il s’agit de causes infectieuses : alerter sur les dangers d’un microbe est plus facile que pointer la responsabilité d’une substance commercialisée par de grands groupes industriels. D’autant que ces derniers financent des études pour obtenir des résultats favorables à leurs produits. L’exemple des méfaits du téléphone portable est significatif. Dès la fin des années 1990, deux sortes d’études sont apparues - celles financées par les opérateurs affirmaient que l’usage du portable était inoffensif ; les autres concluaient à près de 80 % à sa nocivité.
Nous sommes tous embarqués à bord d’un avion de plus en plus grand et de moins en moins stable. Ceux qui en ont clairement conscience ne sont pas assez nombreux ni pris au sérieux. Pour le portable, massivement utilisé dans le monde entier, les risques encourus s’avèrent pourtant énormes. La mondialisation du risque nous promet le pire. L’actuelle pandémie de maladies du cerveau n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. »
Alors que votre livre traite d’une question de santé publique fondamentale, les médias n’en ont quasiment pas parlé...
Roger : « Nous nous y attendions. Les journalistes ont peur de s’aventurer dans des domaines qu’ils ne maîtrisent pas et qui mettent gravement en cause des personnalités de premier plan, aussi bien des politiques (je pense en particulier aux ministres de la Santé et de l’Environnement) que des chefs d’industrie et des experts officiels. C’était pareil pour l’amiante avant 1995 : les journalistes craignaient la technicité des dossiers et se montraient incrédules devant l’énormité du déni. Et puis, les lobbies ont eu toute liberté pour répandre leur propagande dans les médias, notamment à la télévision.
Ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change matraquent le public. Le discours des gros leaders d’opinion sur la maladie d’Alzheimer, des gens ayant souvent des liens d’intérêt avec les firmes concernées (rémunérations pour les expérimentations sur les patients, participations financières…), est très représentatif. Le simple fait de rappeler leur situation schizophrène les rend furieux. À l’image du professeur Dubois : ce chef du service neurologique de la Pitié-Salpêtrière s’est offusqué du fait qu’un journaliste de France soir ose le lui rappeler. Dans son cas, pourtant, il s’agissait seulement d’admettre une évidence. Cette attitude est d’autant plus regrettable que la loi impose aux professionnels de santé de faire mention de ces liens d’intérêt chaque fois qu’’ils s’adressent au public. »
Marie : « Beaucoup de spécialistes refusent de prendre un peu de hauteur vis-à-vis du consensus dominant. Quand je suis passée sur France Culture, le responsable de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière de la Salpêtrière, le Pr Agid, devait être présent. Mais il a annulé sa venue après avoir lu notre ouvrage, qu’il a qualifié de « livre anti-scientifique et anti-médical ». Un comble au regard du nombre d’études sur lesquelles nous nous appuyons. De telles critiques font penser à celles de Claude Allègre : désigner les contradicteurs comme obscurantistes permet d’éviter de débattre avec eux. »
Roger : « Ce monsieur Agid oublie nos parcours respectifs et les dossiers que nous avons défendus depuis vingt ans : affaires de l’amiante, du mercure, de l’aluminium, du manque d’indépendance de l’agence du médicament, etc. S’agit-il de combats obscurantistes ? En réalité, le milieu des mandarins n’a pas fait ce travail de synthèse et d’alerte. Leur cécité se trouve du même coup gravement mise en cause. »
1 Marie Grosman, agrégée en Sciences de la vie et de la terre, est spécialiste en santé publique et en santé environnementale. Roger Lenglet est philosophe et journaliste d’investigation en santé publique.
2 Terme médical. Il s’agit de mesurer les années de vie perdues parce que vécues dans un état autre que « en pleine santé ».
http://www.article11.info/?Maladies-neurodegeneratives-Rien-n
DeProfundisMorpionibus- Grand Echevin
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Localisation : Luxemfoired... (C'est juste à côté de Luxembored).
Re: Maladies neurodégénératives : « Rien n’est fait pour enrayer la pandémie »
De toute façon, à Luxembored, on est déjà morts,....
Mind Matter- Grand Echevin
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